Dimanche, nous partons à l'improviste. Nous connaissons bien la gare, nous nous dirigeons d'un pas sûr vers les guichets pour acheter notre billet et là... Tous les guichets sont fermés. Une pancarte nous renseigne "Les guichets sont transférés face au Quai 9, au nord de la gare". Les indications sont claires et pourtant nous ne savons pas où aller... Le nord... Le nord... C'est par où?
Un voyageur perçoit notre désorientation :
"- Ah vous, vous n'avez pas le sens de l'orientation! Suivez-moi!"
Bien sûr que nous le suivons et en même temps, nous sommes peut-être un peu vexés par sa remarque... Il nous parle "d'avoir un sens de l'orientation", mais nous ne sommes pas dotés de radar ou de sonar... Nous n'avons pas de sens de l'orientation à proprement parlé! Nous avons un sens de l'odorat, de la vue, de l'ouïe, du goût, du toucher tout cela en lien avec des organes bien précis, des récepteurs identifiés, mécaniques et chimiques. Mais un sens de l'orientation... Non... Pas une antenne, pas une parabole, pas un aimant attiré par le pôle... Rien.
Nous voilà arrivés au nord de la gare. Nous remercions notre guide, achetons notre billet et partons à la recherche du quai. Pour nous y rendre, nous tentons de mettre de la conscience sur notre parcours : recherche de panneaux indicateurs, couleurs du sol, des murs, nombres de quais... Est-ce ça finalement le "sens de l'orientation"? Etre capable de visualiser un parcours, de le planifier, de se projeter dans l'avenir tout en faisant appel à notre mémoire des lieux?
Le train arrive. Le chef de bord nous propose, non pas un voyage dans le temps, mais un voyage dans l'espace. Il nous renseigne déjà sur la définition de cette expression "sens de l'orientation". Nous apprenons que le sens de l’orientation désigne l’aptitude qui permet de trouver son chemin ou de se diriger d’un point de l’espace à un autre. Les oiseaux migrateurs et les mammifères marins sont dotés d’un organe capable de percevoir le champ géomagnétique. En revanche, chez l’homme, il n’y a aucun organe sensitif dédié à l’orientation.
Et bien voilà! Nous en étions sûr, l’homme ne dispose pas d’un véritable sens avec un organe de perception. Par contre, il peut développer des stratégies cognitives pour s’orienter : mémorisation de repères utiles dans l’environnement ; percevoir des changements de trajectoire ; repérage des trajets futurs (anticipation, planification); représentation mentale du territoire (création d'une carte mentale) etc. La faculté d’orientation est la résultante de processus cognitifs complexes : mémoires, perceptions sensitives, raisonnement et planification.
Certains sont peu à l’aise pour s’orienter, c'est vrai, et l'utilisation systématique d'outils de navigation n'arrange pas notre situation... Cependant, cette faculté peut se développer car le sens de l’orientation est une faculté qui s’acquière et se travaille. Voilà une bonne nouvelle car le monde regorge de lieux d'entrainements! Par exemple : marcher en ville avec un plan et s'obliger à observer l’environnement, à rechercher la position du nord, l'orientation des rues et des boulevards, comptabiliser les changements de trajectoire et des temps de marche, etc. Marcher en forêt, en campagne ou en montagne avec une carte ou simplement on observant les alentours est également propice pour prendre conscience de son environnement et stimuler le processus d’orientation. Stimuler ses capacités d'orientation, c'est (ré) apprendre à lever le nez, à regarder loin devant soi aussi bien qu'autour de soi. S'orienter dans l'espace, c'est finalement savoir se situer par rapport à un environnement. Nous pourrions alors parler de la capacité à naviguer dans l'espace. Nous percevons alors clairement qu'il ne s'agit pas d'un sens mais d'une capacité qui repose sur l’intégration d’une pluralité de sources d’informations, aussi bien propres à soi-même qu’à l’environnement.
Si, en plein travail d'orientation, nous pouvions observer notre cerveau, nous serions surpris du nombre de zones au travail : le mémoire de travail spatiale qui traite les petits objets et met en jeu le lobe pariétal, le lobe pariétal médian qui est, quant à lui, impliqué dans le processus même de navigation dans l'espace. Et puis, il y a le lobe frontal qui traite les informations, les processus impliqués dans représentations spatiales et dans le mouvement spatial du corps, ainsi que l'activité motrice. Et ce n'est qu'un début...
Ce voyage nous donne des idées... Il n'y a pas de "sens de l'orientation spatial" à proprement parlé... Mais la capacité d'orientation se travaille... De même qu'il n'y a pas de "sens de l'orientation temporelle"... Nous savons, d'expérience que certaines personnes ont des difficultés à s'orienter dans le temps... Et si, en remédiation cognitive, nous pouvions créer des ponts entre tout cela ?
Nous avons dû penser à voix haute. Devant nous, une passagère s'esclaffe : "- Nous nageons en pleine réflexion philosophique... Un pont entre l'espace et le temps... Rien que ça!". Elle s'intéresse pourtant à la réflexion et nous échangeons sur nos convictions alors que le voyage se termine.
Avant de descendre du train, nous convenons d'orienter nos lectures scientifiques vers l'existence de travaux sur le lien entre navigation dans l'espace et orientation temporelle. En remédiation cognitive, il nous arrive quotidiennement de travailler les capacités cognitives qui "fonctionnent bien" pour compenser les déficits... Avec les personnes qui ont des difficultés à se repérer dans le temps (saisons, matin, soir...), pourrait-on tenter un travail de renforcement et de prise de conscience de leurs capacités à naviguer dans l'espace pour ensuite transférer ces indices dans l'acquisition de l'orientation dans le temps?
En arrivant sur le quai nous regardons autour de nous. L'horloge de la gare indique 7h, la lumière naturelle est rasante... Est-ce l'aube ou le crépuscule? Quels détails peuvent nous orienter?
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